Les camions et les droits de la personne*

La manifestation des camionneurs se poursuit pour une deuxième semaine de suite à Ottawa. Le siège du centre-ville d’Ottawa n’est pas encore levé mais il est temps que nous entamions une réflexion sur ce qui doit se faire dans les jours à venir.
Nous sommes certains qu’il y aura des révisions des tactiques policières et un examen des actions des politiciens. Mais pour nous, la priorité reste la nécessité d'une conversation approfondie sur la place donnée aux droits de la personne au cours de ces deux dernières semaines.

Les droits de la personne ont été affirmés et violés, récupérés et sapés tout au long de cette occupation de la ville d’Ottawa et d’autres manifestations semblables à travers le pays.

Les manifestants soulèvent des préoccupations relatives aux droits de la personne concernant les politiques de santé publique autour de la COVID. Le droit essentiel de manifester a été utilisé comme “carte blanche” pour justifier toutes sortes de comportements.

Entre temps, les droits humains des milliers de personnes, en particulier les habitants du quartier du centre-ville d’Ottawa, ont été pris en otage.

Nous sommes en face des droits de la personne à chaque tournant, mais nous manquons d’un cadre clair sur la question.

En tant que défenseurs passionnés des droits de la personne et résidents de la ville d’Ottawa, il est clair pour nous que l’usage du mot “manifestation” pour décrire ce convoi n’est pas approprié.

Nous avons observé des préjudices persistants envers les habitants et une instrumentalisation de la culture autochtone, du drapeau canadiens et des droits de la personne, dans un but ultime de masquer une conduite violente et irrespectueuse.

Parler de “manifestation” dans ce contexte dénigre le droit légitime de manifester pacifiquement à travers le pays et à travers le monde.

Face à ces graves questions qui ont été mises en lumière par cette occupation et ces manifestations, tous les paliers du gouvernement doivent agir rapidement pour convoquer un Sommet national sur le droit de manifester et sur les droits de la personne.

Nous étalons ci-dessous cinq points essentiels qui devront être explorés :

1- Qu’est-ce qu’une manifestation « pacifique »? C’est un droit précieux qui doit être défendu avec vigilance. Tous les quatre nous l’avons exercé avec enthousiasme à maintes reprises pour faire du Canada un pays meilleur. Notamment pour exiger des services équitables pour les enfants des Premières Nations. Mais ce n’est pas un droit absolu. Les principes internationaux pour les droits de la personne sont clairs: les droits à la liberté d’expression, à la libre association and aux rassemblements incluent des restrictions pour protéger les droits d’autrui et assurer la sécurité publique. Est-ce que ces droits pour manifester incluent le droit d’arriver en grand nombre avec des camions menaçants, d’occuper les rues et les trottoirs, de klaxonner à toute heure et d'émettre des vapeurs de diesel nocives à volonté ? Une certaine clarté est requise.

2- Reconnaissons-nous les différences inhérentes entre les manifestations organisées par des mouvements sociaux, des groupes communautaires ou des partis politiques, et celles organisées par les peuples autochtones, notamment en ce qui concerne les droits fonciers? Les convois de camions qui barricadent les rues d’Ottawa et les défenseurs des terres autochtones qui bloquent un chemin forestier sur leur territoire traditionnel ne sont pas du tout comparables. Ici, différentes considérations relatives aux droits humains, obligations légales et exigences constitutionnelles s’appliquent.

3- Où est donc passée le principe de cohérence quant à l’usage de la force par les services de police? La clémence dont fait preuve la police au centre-ville d’Ottawa diffère considérablement des réponses souvent brutales et violentes ou l’obtention rapide d’injonction quand il s’agit de manifestations autochtones, de campements de sans-abris, de blocus par les écologistes et de manifestations contre le racisme systémique. L’approche nonchalante adoptée par le service de police d’Ottawa surtout lors des premiers jours n’est pas acceptable et ne peut pas être justifiée par un simple désir de désamorcer la crise. La situation est grave et un examen honnête est nécessaire.

4- Comment pourrons-nous améliorer la coordination entre la police et le gouvernement pour un meilleur résultat? Ce n’est pas nouveau que de voir la confusion entre les champs de compétence des différents paliers de gouvernement au Canada, surtout quand il s’agit de répondre à des besoins sociaux ou régler les responsabilités qui se chevauchent de la GRC, de la police provinciale et des forces municipales. Ceci reflète un échec de longue date des différents paliers de gouvernement pour assurer une mise en place coordonnée des obligations internationales du Canada en matière des droits de la personne. Et qu’en est-il de l’inclusion des gouvernements autochtones et des municipalités dans cette équation? Il est temps que les choses changent.

Finalement, comment allons-nous lutter contre ces manifestations toxiques et dégoutantes de racisme, de misogynie, d’homophobie, de transphobie et de haine? Les manifestants insistent sur le fait que les actions de quelques «brebis galeuses» ne doivent pas ternir le reste du convoi. Ceci est faux. Comment expliquer alors l’apparition de drapeaux appelant à la haine, des chants racistes et des menaces violentes lancées par des manifestants envers les passants. Qu’ont fait les autres manifestants, la police et les politiciens pour y mettre fin? Y-a-t-il une reconnaissance claire du traumatisme et des dommages causés par cette haine? Et qu’en est-il de la peur et de l’intimidation ressenties par les communautés vulnérables et racisées?

Ce sont des questions difficiles à explorer après cette occupation de notre capitale nationale. Des évènements qui nous ont ébranlés et profondément affectés.

Il est clair que nous devons mériter notre réputation de nation pacifique et tolérante. Pour le faire, et pour que l’amour de nos droits de la personne, nous devons nous rassembler, examiner, apprendre et changer.

Cindy Blackstock est professeure de travail social à l'Université McGill,

Leilani Farha est directrice mondiale de The Shift et ancienne rapporteuse spéciale des Nations Unies,

Monia Mazigh est auteure et professeure de recherche auxiliaire à l'Université Carleton,

Alex Neve est chercheur principal à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa.

*Publié initialement sous forme d'article d'opinion dans Le Droit du 16 février 2022, avec Cindy Blackstock, Leilani Farha et Monia Mazigh. Crédit photo: CTV News

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